- 13 janvier 2011
- par admin
Voici une petite fiction inspirée des assauts réels que j’ai menés au cours de mes quelques années de canne. Le plus amusant est de comparer les écrits de différents tireurs pour s’apercevoir des grandes disparités qui existent entre les approches.
« J’ai entendu mon nom résonner dans toute la salle, je crois qu’on m’attend. J’enfile une première manche de ma veste, j’attrape mon masque et fourre mes gants à l’intérieur. Tout en me dirigeant vers ma place (je suis en bleu ou en jaune ?), le masque sous le bras, je finis de m’habiller et passe ma deuxième manche.
Mince, j’ai oublié mes cannes ! Je fais demi-tour, mon second me rejoint en courant, apportant précipitamment ce qui manquait. Un coup d’œil sur l’aire et un nouveau rappel des haut-parleurs me renseignent sur ma couleur : ce sera le jaune. Berk, je préfère le bleu, ça me porte davantage chance d’habitude. En fait je ne sais pas d’où vient mon dégoût du jaune. Ca fait trop « poussin », je crois.
Pendant ces considérations, l’arbitre entonne son laïus habituel : « Tireurs, au centre ». Haha, il voit bien que je n’ai pas encore mis mes gants et que mon second vient de scratcher de travers la protection sur mon masque, non ? Bon, on va dire que je suis prêt. Ma veste n’est pas encore attachée, mais l’intention y est. Une canne pas trop moche, hop, j’attrape tout ce qu’il me faut pour l’assaut et je rejoins mon adversaire, droit comme un piquet, et l’arbitre qui me jette un regard dont le sourcil froncé m’indique que son taux d’agacement vient d’atteindre un premier palier de défaveur à mon encontre. Je m’excuse, me place pour le salut et, exécutant ce dernier au commandement de notre brave officiel, souris de la manière la plus bienveillante possible à mon adversaire pour lui indiquer que mes dispositions ne sont pas belliqueuses. Ou pas trop. On n’est pas là que pour se taper dessus, quoi.
Bien, qui est en face, déjà ? Ah oui, ce fameux Nicolas. Presque une partie de plaisir : je sais qu’il tire bien, je n’ai pas vraiment à m’en faire. Au pire je perds.
Nous sommes en place, immobiles, face à face, cannes croisées au bout de nos bras au centre de l’air. C’est l’instant où tout se joue. A ce moment précis, on sent que tout est encore possible, mais les regards mutuels semblent clairement faire pencher la balance. De quel côté ? Je n’ai pas envie de savoir : je garde la surprise pour la fin.
Allez, c’est parti, nous nous tournons autour. Je finis de m’échauffer, j’espère l’impressionner un peu par ma nonchalance et mon assurance. J’espère qu’il pense : « mince, il a tellement confiance en ses capacités qu’il se permet de ne s’échauffer qu’une fois sur l’aire ». En général, ça ne marche pas, mais je finirai bien par trouver un adversaire impressionnable.
Youp-la, parade prise de justesse, il a décidé d’attaquer dès la première reprise. Le fourbe ! Alors que je ne suis pas encore chaud ! Bon, je me décide à entrer mentalement dans le combat, sinon je ne ferai rien de bien.
Vlan, je viens de m’en prendre deux, c’est bien fait pour ma poire. Il attaque, je riposte sans conviction. Une petite fente pour huiler les genoux, une feinte pour lui montrer que je suis menaçant, je pare, je bouge, je riposte un peu plus rapidement. Je le sens bien, là, j’enchaîne, je traverse et…
« Stop ! Fin de la première reprise. »
Oh non ! Juste quand j’allais envoyer une belle attaque !
On se tape dans la main, sourire de remerciement cordial de derrière la grille du masque et chacun retourne à sa place, où nos seconds respectifs nous attendent.
« Bon, il a décidé de te rentrer dedans dès la première reprise, il va falloir réagir parce qu’il a pris de l’avance. » m’annonce le mien. « Tu n’es pas dedans et ça se voit, donc il en profite. » ajoute-t-il avec un très léger ton de reproche dans la voix.
Je suis complètement d’accord avec lui et montre mon entière adhésion par un hochement de tête approbateur, tout en buvant une gorgée d’eau. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de hocher de la tête en buvant à la bouteille, mais en général il est d’usage d’en mettre partout. J’en renversai donc plein ma combi, détournant par là-même mon attention de l’arbitre qui annonçait les scores. Tant pis, j’attendrai la prochaine reprise.
D’ailleurs la voilà qui arrive à grands pas. Je souffle encore une ou deux secondes, note dans un coin de ma mémoire les quelques conseils techniques que me prodigue mon second, lui réponds par un « 0k, je vais essayer » plein de non-sens, enfile de nouveau mon masque plein de sueur pour signaler que je suis prêt à y retourner et me prépare par quelques mouvements de jambes à en découdre.
« Tireurs au centre. »
Allez, j’y vais, cette fois.
« En garde »
Ca va être ta fête, mon gaillard.
« Allez ! »
Baston.
Un-deux, feinte d’armé, j’envoie la sauce. Il pare, riposte, je pare sa riposte, contre-riposte et je dégage. Voilà, ça commence à pulser, au moins je n’aurai pas l’impression d’avoir été ailleurs pendant que les choses importantes se réglaient.
Une petite traversée en saut ? Ah non, il bouge, je lui décoche un bon latéral croisé dans son tibia qui dépasse, puis je regroupe, j’esquive sa riposte. Nous reprenons nos distances, il hésite. Ou peut-être reprend-il son souffle. Pas question, je repars de plus belle, il regonflera ses poumons plus tard. Feinte de brisé, latéral extérieur. Le même et… Zut, il bloque mon attaque, vite sur la défensive ! Une parée, deux par… et galère, je dérouille un, dans la jambe, deux, dans la figure, j’esquive de justesse un troisième qui arrive, vite sortir de là, il me fixe, un bond de côté, une esquive rabougrie. C’est qu’il en veut, le salaud, c’est quoi cette façon de poursuivre absolument pas courtoise ?
Il m’énerve, le bougre, et puisqu’il s’arrête, je m’en vais lui…
Ah non, c’est parce que l’arbitre a signalé la fin de la deuxième reprise. Oups, je crois que mon second n’est pas très content.
« Bon, c’est bien, tu y es allé un peu plus, mais ça ne va pas être suffisant. » m’accueille-t-il. Il dresse l’oreille pour entendre le résultat de la reprise et faire rapidement le total des points en comptant ceux de la précédente. J’en profite pour boire et me passer la manche sur le front pour éponger ma sueur.
« Bon, tu as réussi à remonter un peu mais tu as encore cinq points de retard. » Il aime bien commencer ses phrases par « Bon », ça ajoute une note positive à l’ensemble, que le « mais » du milieu fait invariablement pencher du mauvais côté, celui de la défaite qui pointe le bout de son nez.
Un dernier soupir de concentration et j’y retourne une dernière fois. Est-ce là que je dois choisir entre me donner à fond pour gagner ou bien laisser les choses suivre leur cours et ne remporter la victoire que si, intrinsèquement, je suis bien le meilleur ? Grave question, à laquelle le commandement de l’arbitre me laisse entendre que je n’ai pas le temps de répondre. Je vais improviser.
« Tireurs au centre. »
Allez, j’y vais, cette fois.
« En garde »
N’est-ce pas déjà ce que je me disais à la précédente ?
« Allez ! »
Cette fois, plus trop le choix.
D’entrée de jeu, il attaque, j’esquive une fois, deux fois, il feinte, je fuis. Hihi, encore raté, mon coco. Vas-y essaye encore, hop raté, *pif* aïe le con, et galère, je n’avais pas dit que je rentrais sérieusement pour la dernière reprise ? Je ne crois pas, non.
J’inspire à fond et bloque immédiatement ma respiration. L’envie d’activer me prend tout d’un coup ; ça fait comme un picotement derrière la partie frontal
e du cerveau, sans doute la zone de gestion de la fierté. Cette fois, c’est la bonne, il m’a énervé : un, deux trois dans sa poire. Feinte de un, deux et vlan dans la jambe. Il recule, je le colle, je m’engage vers lui, je feinte encore une fois et je lui balance deux coups en jambe qui font un admirable son en heurtant son protège-tibia. Il a peur, il essaye de contre-attaquer, j’esquive et riposte immédiatement. Une, deux fois, la deuxième touche, oui ! L’adrénaline me pousse encore, lui a le souffle court. Un petit brisé ? Eh non dommage pour toi, c’est un latéral ! Je continue pendant qu’il fait des mouvements dans tous les sens : latéral croisé qui se change en croisé bas, un enlevé qui finit en latéral extérieur dans sa figure. Il esquive ? Je change de rythme, accélère pour le faire paniquer, ralentis pour toucher, accélère encore, feinte, feinte encore, il recule, je saute, je lui saute dessus, je recule en l’attaquant, je reviens en volte…
« Stop, fin de la troisième et dernière reprise. »
Ah, cette fois je l’ai entendu.
« Tireurs au centre pour le salut. »
Waou, ça fait du bien !
« Prêts pour le salut ? »
Mais bien sûr que nous sommes prêts. J’ai envie de sourire jusque derrière les oreilles. On n’a plus rien à faire maintenant que j’ai gagné. N’est-ce pas que j’ai gagné ?
« Saluez. »
«
Le X