Canne et escrime artistique
Propos
J’ai été invité les 13 et 14 février 2016 au stage annuel des Lames sur Seine. Il s’agit d’un stage d’escrime artistique ouvert à tous les pratiquants et pratiquantes intéressé(e)s de toute la France. J’avais déjà mené des interventions l’an dernier et l’année précédente en présentant une approche historique de la canne de combat, en la remettant dans un contexte de 19e siècle parisien où les agressions d’apaches (les voyous de l’époque) ne manquaient pas. Je leur ai donc parlé bien évidemment de canne avec une composante auto-défense importante (comme on pouvait en trouver dans les traités d’Emile André ou de Jean-Joseph Renaud par exemple), mais également quelques notions de savate, de couteau ou les fameuses actions telles que le coup du Père François.
Cette fois-ci, Michel Olivier (Président des Lames) m’avait demandé d’orienter mes modules vers l’approche sportive de la canne de combat. J’ai donc réfléchi à ce que pouvait apporter la canne de combat et ai abouti au programme ci-dessous.
Programme
Le premier module (1h30) a consisté à résoudre la principale difficulté de l’opposition quand on n’a jamais fait que de la chorégraphie : travail de fluidité, gestion de la distance, enchaînement, terminer les attaques (ne pas s’arrêter à chaque fois 40cm devant la cible), le tout saupoudré d’un brin de dextérité en jouant avec l’arme (manipulations ou « tricks »), ce qu’on effectue bien plus aisément (et de manière plus sure) avec une canne qu’avec une rapière.
J’ai consacré un autre module (2h) aux réflexions que nous avons eues suite aux diverses conventions auxquelles nous avons pu participer (Salon Fantastique, Geekopolis) sur une approche du spectacle non chorégraphié :
- des micro-chorégraphies avec signal pour les déclencher : il arrive qu’on ait envie de placer une action ultra-stylée (une esquive-riposte en volte-sautée + croisé haut par exemple) mais que l’occasion de la placer n’arrive pas. Nous avons donc travaillé à les automatiser pour que ces actions puissent sortir naturellement pendant le combat. Bien évidemment, pour ne pas qu’elle sorte n’importe quand, il est important d’avoir un signal spécifique qui le déclenche. Nous suggérons donc d’utiliser un mouvement peu commun (croisé bas, feinte de brisé-brisé, volte+enlevé) comme déclencheur de l’action. Il est nécessaire de répéter un minimum avec son partenaire pour rendre fluide la réaction à ce signal, mais le résultat est souvent assez probant.
- les phases pour raconter une histoire : l’idée consiste à scénariser le match en le décomposant en 2 ou 3 phases bien distinctes. Par exemple : une première phase d’esquives/ripostes, une deuxième où l’un attaque et l’autre pare tout et une troisième où l’un attaque et l’autre contre-attaque. Cela permet, dans une démonstration d’une minute à une minute trente, de « scénariser » le combat de façon à ce que le public ait l’impression qu’on lui raconte une histoire (l’apache agresse le bourgeois qui ne fait d’abord que se défendre, puis il reprend la main face à un apache qui esquive tous ses coups)
- jouer les touches en faisant semblant d’avoir mal juste après l’impact et les lâchers de canne. Ce dernier point est assez crucial car il arrive régulièrement en canne que l’on lâche son arme. Il faut alors improviser quelque chose et faire comme si c’était totalement voulu. Ce que nous préconisons alors est une phase d’attaques particulièrement visibles de par celui qui possède encore son arme, et des esquives en direction de l’arme pour celui qui n’en a plus. Si en plus la récupération peut s’effectuer manière « stylée » (roulade, roue), il ne faut pas se priver.
- mettre en avant les éléments spectaculaires de la canne tels que l’amplitude, les changements de main, les voltes. Si chacun de ses points peut exister en escrime artistique, ils sont en général minorés en comparaison de ce que nous utilisons en canne de combat : la gestuelle implique la plupart du temps le coude ou le poignet (principalement en raison du poids de la rapière) là où la canne a tendance à utiliser l’épaule. Les changements de main se limitent à des passages d’une main à l’autre mais ne vont pas comme en canne jusqu’à des changements dans le dos, en faisant tournoyer l’arme ou en la laissant glisser sur l’épaule. Enfin les voltes se pratiquent souvent par le biais d’esquives et pas forcément comme élément visuel (ou tactique en canne sportive).
Enfin un module assez court (une trentaine de minutes) sur la double canne à base d’exercices classiques que j’ai l’habitude d’aborder (manipulations des cannes de manière non symétriques, coordination en rythme à 2, trois grandes stratégies en double canne : attaque totale, parade totale, contre-attaque+parade) afin de développer essentiellement les facultés psychomotrices tout en jouant avec son adversaire.
Retours
Après chaque module, j’ai demandé aux stagiaires ce qui leur avait plu ou moins plu, ce que chaque approche a pu leur apporter dans leur pratique de l’escrime artistique. Les principales qualités mises en avant sont l’agilité, la fluidité, la coordination (pour la double canne), et le plaisir de pouvoir effectuer une rélle opposition en toute sécurité.
Le module de double canne, à la fois parce qu’il est arrivé à la fin du stage alors que tout le monde commençait à accuser une fatigue bien normale, mais également parce que le travail cognitif est particulièrement important, a été considéré comme de loin le plus difficile.
Mais dans l’ensemble les stagiaires étaient tous très satisfaits de cette intervention qui sortait des sentiers battus, tout en leur proposant une activité proche de la leur avec des armes qu’ils connaissaient (il n’est pas rare d’utiliser des cannes en escrime artistique lorsqu’on débute ou pour travailler un enchaînement avant d’utiliser la rapière).
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